Les molécules de l’apparence : L’hormone de croissance

L’hormone de croissance (GH, Growth Hormone) est fabriquée par une glande du cerveau, l’hypophyse. L’un de ses effets spectaculaires est de stimuler la croissance des cartilages et des os. Elle accélère également la lipolyse (combustion des graisses de réserve) et elle augmente la synthèse des protéines (fabrication de nouveaux tissus, musculaires au premier chef). Mais les sécrétions de GH déclinent avec l’âge. Elle culmine vers 13-14 ans, puis décroît après 20 ans. Le taux chute alors de 14 % tous les dix ans. Le corps se transforme en vieillissant. De 30 à 70 ans, un homme perd 30 % de muscles alors que sa masse adipeuse augmente de 50 %. Ces deux événements (baisse des sécrétions hormonales et transformation de la silhouette) sont liés, comme l’a montré dès 1981 le Dr Daniel Rudman du Medical College of Wisconsin (Milwaukee, U.S.A.). Dès 1990, il publiait dans l’édition du 5 juillet du New england journal of medicine une étude qui sortait la GH du champ des laboratoires et la plaçait de facto sur la liste des futurs best-sellers anti-âge, au même titre que la mélatonine ou la DHEA.

Première étude sommaire, mais intérêt considérable

Cette étude portait sur 12 hommes de 61 à 81 ans, s’injectant pendant 6 mois de la GH. Les résultats furent les suivants : un gain de 9 % de masse musculaire et une perte de 14 % de la masse graisseuse, sans régime ni exercice physique. Leur peau était plus épaisse, leur colonne vertébrale plus dense.

Autre étude plus représentative et effet anti-âge visible à l’œil nu

En 1997, le Dr Edmund Chein (Palm Springs, Californie, U.S.A.) et le Dr Leon Terry (un neurologue de l’équipe Rudman), ont rendu publics les résultats d’une étude conduite auprès de 202 patients, hommes et femmes, qui avaient reçu de la GH à faibles doses chaque jour pendant six mois en moyenne. 81 % d’entre eux ont un volume musculaire augmenté, 72 % ont perdu leur surcharge adipeuse, l’épaisseur, la texture et l’élasticité de la peau sont améliorées chez 70 % des personnes traitées, enfin une personne sur deux voit ses rides s’estomper.

La chirurgie esthétique dans un flacon

Conséquence logique de ces démonstrations scientifiques, le Dr Ronald Hiatz (Chicago, U.S.A.) a publié chez l’un des plus gros éditeurs new-yorkais, Harper Collins, « Rajeunissez avec l’hormone de croissance ». Cet ouvrage provocateur prône le recours à la GH contre le vieillissement. C’est d’après l’auteur, « la thérapie anti-âge absolue. Elle affecte chaque cellule, régénère les organes, renforce l’immunité, diminue les facteurs de risque coronarien. C’est le médicament anti-obésité, le plus efficace jamais trouvé. La GH sculpte le corps en réduisant la graisse sur l’abdomen, les hanches, les cuisses, tout en augmentant la masse musculaire. L’hormone de croissance, c’est la chirurgie esthétique dans un flacon. Elle fait disparaître les ridules, estompe les rides profondes, restaure l’hydratation, l’élasticité, l’épaisseur et le contour. La GH stimule la production de facteurs de croissance de la peau qui conduit des cellules, même âgées, à produire du collagène et de l’élastine. Un tiers des plus de 60 ans sont gravement déficitaires en GH, quel que soit leur sexe, ils peuvent bénéficier d’une hormonothérapie de remplacement. Mais on trouve aussi des signes de déficit chez des gens de 40-45 ans. Le seul moyen de savoir si l’on manque de GH est de faire pratiquer un dosage. Le traitement doit être personnalisé, l’objectif étant de retrouver les valeurs moyennes que l’on rencontre de 30 à 40 ans. Il a fallu 40 ans à l’establishment médical pour donner son accord à la prescription d’oestrogène et de progestérone aux femmes postménopausées, et il faudra peut-être attendre 40 ans pour qu’il donne son accord à l’hormonothérapie de remplacement à base de GH. Mais je crois qu’en temporisant, on s’expose à des conséquences pires qu’en agissant dès aujourd’hui. Dans les années qui viennent, nous verrons qu’en optimisant le niveau de l’hormone de croissance, non seulement la qualité de la vie sera augmentée, mais aussi sa durée ».

Attention ! Dérapage

Les spécialistes français s’étonnent de la banalisation d’un traitement dont les indications, la distribution et le suivi sont très stricts. En France, la somatropine, hormone de croissance humaine biosynthétique, peut être prescrite - et alors remboursée par la Sécurité sociale - dans certains cas de retard de croissance très particuliers. La première prescription doit se faire à l’hôpital (plus de 4 000 enfants en bénéficient). Les médecins peuvent aussi la proposer aux adultes présentant un déficit pathologique, mais, la Sécurité sociale ne rembourse pas ce traitement, car les résultats ne sont pas convaincants.

« En France, nous suivons environ 400 patients dans ce cas. S’ils continuent à s’injecter de l’hormone de croissance (GH), c’est qu’ils y trouvent un bénéfice, d’ailleurs constaté par des études. Mais les résultats ne sont pas spectaculaires. Il y a un gain d’environ 4 kilos en masse maigre et une perte équivalente de masse grasse » commente le Pr. Bernard Conte-Devolx de l’hôpital de la Timone, à Marseille. Quant à proposer de la GH aux patients âgés, il rappelle qu’il n’existe aucune étude contrôlée sur plusieurs années pour justifier une telle pratique : « Il faudrait un bénéfice colossal pour un risque nul. Je suis d’accord pour rajeunir les gens. Mais à quel prix ? » Pour le spécialiste marseillais, les signes que l’on observe dans l’acromégalie sont en fait, liés à des surdosages en hormone, mais pas à un rééquilibrage à doses physiologiques. Selon lui, le danger principal est de voir s’accélérer un processus de cancérisation en cours : « L’autopsie des personnes âgées révèle souvent un ou deux cancers. Que se passerait-il après un traitement à la GH ? »

Dans le livre « les Gélules de la performance », le Dr Patrick

Laure rappelle que la tentative de banalisation de la GH ne date pas d’aujourd’hui : « Dès les années 60, certains parents sont obnubilés par la taille de leurs enfants et par toutes les méthodes susceptibles de l’accroître ». Une pseudo-étude statistique américaine avait établi un rapport direct entre le salaire des cadres et leur taille : « Ces allégations, pourtant dénuées de tout fondement scientifique, ont poussé de nombreux parents à réclamer pour leurs enfants des cures d’hormone de croissance », écrit Patrick Laure. En 1994, sur 20 000 traitements prescrits aux Etats-Unis, 8 000 concernaient des enfants non atteints de nanisme.

Des sujets performants, mais sous surveillance

Devant la résurgence de la GH comme thérapie du vieillissement physique, Bernard Conte-Devolx s’en remet au bon sens : « Mettez quelqu’un sur un vélo pendant une heure. Vous obtiendrez le même résultat qu’avec une injection de GH, en moins cher, et plus agréable ! » Patrick Laure développe une critique plus fondamentale : « Le danger principal de ces usages réside ailleurs [que dans de potentiels effets indésirables pour la santé] [... ] En prenant un produit quelconque pour assurer sa performance, ou sculpter son corps, L’individu finit par se persuader, ainsi que son entourage, qu’il en a réellement besoin. Il surmonte donc chimiquement u n sentiment d’impuissance face à sa propre fragilité, réelle ou imaginée [...] Ainsi, en favorisant le recours [à ces produits], la société engendre des sujets régressifs dépendants d’une pharmacopée un peu particulière ».