Attention ! Dynamite..

« Le Cesi, organisme dont vous êtes directeur du développement, et qui délivre des formations et des diplômes d’ingénieurs en formation permanente, montre que l’on peut faire fonction d’ingénieur sans passer par la vole des grandes écoles. Assiste-t-on à un renforcement de cette tendance ? »

- La tendance est fonction de la conjoncture. Quand celle-ci est déprimée et que les ingénieurs diplômés (dont la production annuelle est indépendante des aléas économiques) sont en surnombre, on n’a guère recours à des personnes n’ayant pas suivi le cursus traditionnel. Dans l’hypothèse inverse, c’est le contraire.

Mais au sein même de la population des personnes faisant fonction d’ingénieurs sans en avoir le titre, il faut distinguer ceux qui ont eu une formation Bac + 4 ou 5 de ceux qui, issus de niveau de formation inférieure, sont devenus par promotion « ingénieurs maison ». L’impact de la conjoncture est plus forte pour ces derniers que pour les diplômés. Le secteur informatique, qui emploie beaucoup de diplômés de toutes disciplines quand il y a pénurie d’informaticiens, amplifie ces mouvements conjoncturels.

« Les Ingénieurs formés sur le tas exercent-ils des fonctions différentes de celles assumées par les ingénieurs diplômés ? »

- Tout dépend des postes. Les étrangers sont très étonnés de notre définition de l’ingénieur. Quand je leur dis qu’au début de ma carrière j’étais ingénieur d’études économiques, ils ne comprennent pas. Pour eux, un ingénieur fait du béton ou construit des machines. Ceux qui sont ingénieurs sans en avoir le titre font souvent un métier plus proche de la fonction traditionnelle que les ingénieurs issus des grandes écoles, qui exercent leurs talents dans la finance, la gestion, le marketing... Plus l’école est « cotée », plus le décalage entre le titre et la fonction est important.

« Est-il souhaitable de faciliter l’obtention du titre d’ingénieur par d’autres voles que celle des grandes écoles, et si oui, comment ? »

- Les entreprises ont intérêt à promouvoir leurs techniciens supérieurs comme ingénieurs. Elles en ont recruté massivement dans les années 1980, mais leur progression de carrière s’est trouvée bloquée, faute de statut cadre : c’est une véritable Cocotte-Minute sociale.

Le rapport Decomps avait déjà souligné, en 1989, la nécessité de former davantage d’ingénieurs et préconisait pour cela l’attribution du titre à des techniciens renvoyés en formation continue. Mais ces conclusions en ont été détournées : les écoles existantes ont augmenté les promotions d’ingénieurs en formation initiale, de nouvelles écoles ont été créées.

Surtout, le nombre de diplômes délivrés par la formation continue, qui était encore d’environ 2500 par an il y a cinq ans, est tombé à moins de 2 000 aujourd’hui, en raison du désengagement progressif des entreprises. Elles sont ravies d’embaucher des ingénieurs au titre de la formation permanente, mais elles ne sont pas prêtes à assumer le financement de leurs études ! Dans les années 1950, lorsque le CESI, par exemple, a été créé, il s’agissait de récompenser les techniciens « valeureux ». Mais le développement des congés individuels de formation (CIF) a fait que les demandes sont devenues le fait des salariés, et non plus de l’employeur. Certaines personnes doivent démissionner pour bénéficier d’un financement en tant que demandeur d’emploi.

Les entreprises s’impliquent de moins en moins dans le financement du dispositif : depuis quatre ou cinq ans, les Fongecif, organismes paritaires financeurs des CIF, refusent de financer les fonmations longues. C’est une catastrophe ! Pour être éligible au Fongecif, nous avons dû réduire notre formation de 2 700 à 2 100 heures, en utilisant les possibilités de l’enseignement à distance, de la validation des acquis professionnels et de l’alternance.

De plus, l’Etat a suspendu en 2001 son abondement au financement des « nouvelles formations d’ingénieur » (NFI), ce qui va réduire encore les flux de diplômés. Enfin, un échec des négociations paritaires en cours sur le financement de la formation continue risquerait de mettre par terre tout l’édifice.

« Est-il véritablement nécessaire d’acquérir le titre ? »

- Pour les diplômés Bac + 4 ou 5, je pense que cela ne sert à rien. Certes, les titulaires d’un DESS ont en moyenne une carrière moins brillante que les diplômés de grandes écoles. Mais l’obtention d’un titre ne leur apportera qu’un avantage marginal. C’est à la personne de faire ses preuves.

En revanche, pour un technicien de niveau Bac + 2, l’amélioration de carrière peut être extrêmement forte. La formation permet de passer à une autre dimension. C’est une mutation identitaire. Leur formation d’ingénieur, comme celle que nous faisons au CESI, ne porte pas sur la technique mais leur donne une ouverture économique, managériale, scientifique, méthodologique ; elle les initie au management de soi. Elle leur permet d’ évoluer vers d’autres fonctions de l’ entreprise.

« Historiquement la nécessité de contrôler strictement la délivrance des diplômes d’ingénieurs se justifiait sans doute par la nature des prestations que celui-ci devait assurer (il fallait être sûr que le pont ne s’écroule pas ou que le chemin de fer ne déraille pas). Cette distinction se justifie-t-elle encore ? »

- Le titre d’ingénieur a conservé une valeur essentiellement sociale. Pour la personne et dans l’entreprise, cette distinction représente une reconnaissance économique et sociale importante. Mais je pense que la formation d’ingénieur doit aujourd’hui posséder trois caractéristiques spécifiques : apporter des connaissances et des compétences scientifiques et techniques, bien sûr, mais aussi aider au « développement de soi » grâce à l’engagement dans des associations, par exemple. Enfin et surtout rendre capable de mailler le scientifique et le technique avec l’humain et le social, les ressources humaines.

« Quel est l’impact du passage d’une économie industrielle à une économie de services sur le métier d’ingénieur ? »

- La demande des entreprises reste aujourd’hui très forte. Certes, la mutation informatique des organisations contribue au niveau élevé de la demande. Il n’empêche que ce besoin d’ingénieurs est ressenti par les entreprises de tous les secteurs de l’économie. Je crois personnellement à une poursuite de la tendance actuelle, avec une croissance d’environ 3 % par an.

Toutefois, pour valider les besoins à long terme, la CFDT cadres a demandé la mise en chantier d’un contrat d’études prospectives auprès du ministère de l’ emploi et de la formation professionnelle sur la fonction d’ingénieur.

Cette demande fait l’objet actuellement d’une préétude par le cabinet Geste. Au vu des résultats de ce travail mené auprès des entreprises et des instituts de formation, il sera sans doute possible de répondre plus précisément à cette question.